L'expression artistique et culturelle a toujours eu une relation ambiguë à l'espace urbain. C'est un élément qui façonne l'identité de la ville, d'une part et d'autre part, il interroge la relation de la population à l'espace public urbain. La ville de Casablanca n'échappe pas à cette ambiguïté. En effet, à partir des années 80 du siècle dernier, Casablanca a connu à l'instar des autres villes du Maroc, un déclin de la vie culturelle et artistique qui s'est manifesté entre autres par la disparition des maisons de jeunes dans les quartiers, la fermeture des théâtres municipaux et des salles de cinéma. Cette situation a donné lieu à l'apparition d'un art élitiste et inaccessible à tous. Cependant, au tournant du nouveau millénaire, la scène culturelle et artistique de Casablanca a connu des agitations plus particulièrement avec l'avènement du mouvement Nayda qui s'est renforcé durant les manifestations de contestation produites parallèlement à la période dite « printemps arabe ». Dès lors, soudés au sein du mouvement de la culture underground, des manifestations regroupées sous l'appellation des arts de rue ( Break danse, skate, DJ-ing, graffiti, musique, théâtre de l'opprimé, cirque, marionnette, etc), ont submergé l'espace urbain. Ainsi, ces formes d'expression « extramuros » ont désormais relancé un débat public autour de leur légitimité.
En s'inscrivant dans ce contexte de haute tension sociale et politique, nous proposons dans cette communication d'examiner deux types de ces formes artistiques, à savoir la musique de rue tout genre confondu et le graffiti. Ce travail s'appuie sur deux enquêtes empiriques, menées séparément dans la ville de Casablanca, réalisées suivant une méthode qualitative. La première réalisée en 2019 sur les artistes musiciens et la deuxième est tirée d'un travail de thèse en cours depuis 2016 sur la pratique du graffiti à Casablanca. Le croisement des observations et des résultats de ces investigations permet de tracer les divergences et les convergences dans le processus d'évolution de ces deux pratiques dans le même espace urbain.
Ainsi dans ce présent travail, il serait question d'abord de cerner l'émergence de ces formes artistiques dans des espaces interstitiels de la ville : les individus et les troupes musicaux au centre de la ville et les artistes graffeurs dans des espaces marginaux et périphérique. Ensuite, nous allons suivre leur évolution suite aux interventions des autorités politique au niveau local et national. Puis, nous allons exposer les modalités et les stratégies des contrôle mis en place (libération de l'espace public, répression, récupération, institutionnalisation, etc) pour insérer ces pratiques dans un cadre normatif compte tenu des enjeux politiques qui en découlent. Finalement, nous allons voir comment l'opérationnalisation de ce contrôle a contribué à un mouvement de déplacement spatial de ces pratiques dans un sens inversé : le centre est le lieu privilège du graffiti et l'espace marginal est devenu le lieu de production des musiciens.