Arènes d'une territorialité (re)trouvée : réflexions et explorations d'interstices où se forgent les communs urbains
Roméo Carabelli  1, *@  , Georges-Henry Laffont  1, *@  
1 : Cités, Territoires, Environnement et Sociétés  (CITERES)
Université de Tours, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR7324
* : Corresponding author

Notre réflexion portant sur le thème de l'interaction entre commun et urbanité propose de revenir sur un des éléments fondamentaux de ce lien. Dans la construction d'un espace collectif par une communauté, il existe un lieu, c'est-à-dire un « là où quelque chose se passe » (Berque, 2003), où et par lequel se forgent ressources, communautés et règles. Or, dans le cadre qui réglemente la fabrique des territoires, ce lieu n'existe pas. En effet, pas plus les personnes qui s'y réunissent, les règles qu'elles établissent ensemble que la ressource qu'elles définissent et mobilisent n'ont, juridiquement parlant, de statut (Tribillon, 2016). Pour le dire autrement, ce lieu est un interstice, qui malgré sa non-reconnaissance législative fabrique de et est un espace, au sens de « ce qui est entre les hommes » (Arendt, 1993). Par conséquent, cet interstice participe de la construction polyarchique des territoires. Pour Ostrom (2010), il porte un nom : arène. Selon l'auteure, il s'agit d'une sorte de (néo)agora, conceptuelle, indispensable à la définition et au fonctionnement d'un commun. Cette arène représente et produit « ce qui fait commun », « qui fait commun » et « comment ce commun est produit et utilisé ». 

Dans cette proposition, nous souhaitons venir explorer cette arène par l'analyse individuelle et croisée de différentes situations rencontrées au fil de recherches et d'observations. Entre les spécificités de chaque situation et ce qui permet de monter en généralité, notre contribution vise à proposer au débat, trois explorations. 

Tout d'abord, la saisie de l'institutionnalisation, pour une communauté, de cette arène : comment est-elle générée ? comment se spatialise-t-elle ? Puis, il s'agira de venir renseigner le fonctionnement de cet interstice de la fabrique de l'urbain et du territoire, plus particulièrement les articulations entre ressource-communauté-règles (La Cecla, 2002)qui y sont à l'œuvre : comment s'éprouvent, dans l'interaction, les pratiques et les usages communs d'une ressource ? Dans ce système, ces trois éléments sont-ils consubstantiels ou l'un d'entre eux conditionne-t-il l'émergence et l'existence des autres ? que révèlent-ils de la manière de faire « common » ? Enfin, à la lumière de ces situations observées, nous viendrons discuter de la possibilité de reconnaitre et de rendre effectives non seulement ces arènes mais ce « common » : quelle place peut bien occuper le common, qui n'appartenant à personne mais est à toute la communauté concernée ? Peut-elle à l'heure actuelle trouver une place dans la conception binaire « public-privé » de la fabrique du territoire ? En quoi ces arènes, qui naissent de l'inscription dans l'espace de pratiques partagées et non pas de « l'activation sociale du droit » (Commaille, 2015) peuvent-elles tout de même participer de la fabrique polyarchique du territoire ?

Si l'on poursuit et ce résonnement et notre questionnement, ce que le monde, dans sa presque globalité, vit depuis le début de l'année 2020 ne vient-il pas illustrer « en même temps » la tragédie des communs que décrivait Hardin en 1968 et l'espoir de la constitution d'arènes où s'inventerait une grande partie « du monde d'après » ? En effet, d'un côté, les paradoxes, contradictions et aberrances de réactions et solutions adoptées par chaque pays traduit l'impossibilité de constituer un ensemble (pro)actif « autre » que ceux que conditionne et autorise la géopolitique. En revanche, d'un autre côté, la constitution d'arènes situées semble devenir une des possibles pistes pour aborder une transformation possible. A ce titre, La dimension (trans)scalaire (Bonavero, 2005)de la totalité de la planète et de l'expérience locale voir micro-locale montre une convergence entre les possibles questionnements sur les processus de constitution des entités sociales (et politiques ?) qui ont la charge et le droit de fréquenter les arènes dans les nouvelles agoras. Alors que l'on pourrait penser que cette situation et ses horizons dépassent l'échelle des communs urbains, néanmoins, ils proposent des pistes de transformation de la ville néolibérale généralisée.

 

Bibliographie indicative :

 

Berque, A., 2019. Ce qu'il y a de commun dans la réalité humaine, in: Les biens communs: un modèle alternatif pour habiter nos territoires au XXIe siècle. PUR Presses Universitaires de Rennes, Rennes, pp. 29–41.

Berque, A, 2003, « Lieu », dans Jacques LÉVY et Michel LUSSAULT (dir.) Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Paris, Belin, (p. 555-556)

Bonavero, P., 2005. L' approccio transcalare come prospettiva di analisi. Il contributo della geografia alla ricerca economica e sociale, Quad. Ist. Studi Su Popolaz. E Territorio. EDUCatt Università Cattolica, Milan.

Commaille, 2015, À quoi nous sert le droit ?, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais ".

Hardin, G., 1968. The Tragedy of the Commons. Science 162, 1243–1248. https://doi.org/10.1126/science.162.3859.1243

La Cecla, F., 2002. Le malentendu. Balland, Paris.

Ostrom, E., 2010. Gouvernance des biens communs: pour une nouvelle approche des ressources naturelles. De Boeck, Bruxelles.

Tribillon, J.-F., 2016. Le droit nuit gravement à l'urbanisme. Éditions de la Villette, Paris.


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